Ils m’ont volé mon pont

Enfin, il ne me l’ont pas volé mais plutôt remplacé par un nouveau pont de 60 pieds, Ceux-là qu’on a pas besoin de faire lever ou tourner. Puis, le McCormic Bascule Bridge à Jacksonville Beach, c’était pas vraiment « mon pont » même si j’en garde un souvenir particulièrement vivant, même 20 ans+ plus tard. C’est devant ce pont qui ne se pressait pas de lever que mon ami Jacques et moi avions décidé de tourner à gauche dans la super Beach Marine marina juste avant de le traverser, pour une pause douche bien méritée que nous nous offrions quand nous avons descendu Maïté en 1988. Justement là où j’ai convaincu Manon de nous arrêter pour qu’elle soit près de l’aéroport demain matin pour son vol de retour.

Le lendemain matin, bien reposés et prêts pour la prochaine étape, nous sommes sortis de la marina et avons tourné à gauche vers le Sud dans le chenal de l’ICW. À plus ou moins 6 Nds, avec le courant nous étions à effectuer les derniers rangements et je me souviens très bien d’avoir été en train de régler la longueur de la corde du dingy pour une traînée minimum quand soudainement, j’ai senti mon bateau se cabrer vers le haut de l’avant et le tableau arrière couler sous le niveau de l,eau et embarquer une vague incroyable… surtout en eau calme d’un chenal.

Vite la chaudière pour vider le cockpit et une autre pour écoper l’eau qui était entré à l’intérieur par le panneau de descente. Tout ça avant même d’investiguer qu’est ce qui avait pu produire cette embardée qui avait vu Maïté retrousser du nez au point de se remplir par l’arrière. Jusqu’à ce que je me rende compte que ce qui nous tenait en équilibre précaire sous un pont à bascule qui ne s’était pas levé pour nous laisser passer tout simplement parce qu’on avait jamais demandé… parce que nous avions complètement oublié qu’il était là, à gauche, en sortant de la marina.

Le mat tenait toujours grâce au fait que Maïté avait été grée en tige de métal plutôt que le fil habituel pour plus de performance en course et beaucoup plus de rigidité par le fait même. En fait, il tenait le mât du bateau appuyé sous la structure du pont et poussant celui-ci à caler de l’arrière juste assez pour garder le cockpit plein d’eau. C’est à ce moment-là que l’opérateur du pont,penché par dessus la passerelle a posé cette question qui me raisonne encore en tête: « Do you want me to open the bridge? » Littéralement: « Veux-tu que j’ouvre le pont? » Sur le moment, j,ai cru qu’il voulait se moquer de moi. Puis, je me suis rendu compte qu’il était inquiet de savoir si nous étions accrochés dans sa structure au risque qu’il nous sorte de l’eau en levant son pont. Alors, je lui ai répondu avec l’air le plus désinvolte possible: «  Bien sûr, quand vous serez prèt! »

Empathie ou solidarité ???

Ou tout simplement maladresse.

Vous avez été impressionnés de voir le front de Manon avec sa belle balafre en premier croissant de lune. Il n’en restera rien au printemps. Tout de même, j’ai été traumatisé de voir ma partenaire blessée en plein plaisir de voile. Pas ce que je veux qu’elle garde comme souvenir de son aventure à bord. Quoique avec le soin qu’elle a mise à faire les photos, je me demande à quel point elle n ‘y prendra pas une petite touche de fierté.

Ceci étant dit, nous voilà en route ce matin après une dernière conversation avec la dame qui est responsable de la Marina de Bruinswick, une business de presque 400 places à quai de gens qui préfèrent ne pas faire tout ce parcours et prendre leur bateau là où ils peuvent partir directement pour les Bahamas. Plusieurs canadiens dans le groupe et la gérante qui nous avoue candidement qu’elle est une « Goofy Newfee » (née à Terre-Neuve).

Le vent à enfin trourné dans la bonne direction. Il va souffler du Nord-Nord-Est de 15 à 25 Nds pour les prochains jours. Promesse de belle voile au portant. En effet, nous quittons le quai ce matin sous DRS sans même mettre le moteur en marche. On est pas gros mais on est beau à voir aller. En passant sous le pont (voir photos pour le nouveau Pont Champlain) nous nous rendons compte que le vent a trop forci déjà et que nous devons revenir aux voiles conventionnelles, Même que pour le mile à faire au près, je préfère mettre le moteur en soutien de la Grand’voile arrisée jusqu’au tournant sous le vent qui nous permettra de relaxer pour le reste de la journée. Comme je l’ai déjà dit: « Un mauvais moment à passer: rien de plus. »

N’empêche que le moment a dû me paraître trop long parce que j’ai coupé le coin rond pour entrer dans le chenal secondaire et malgré que je voyais 3 mètres de fond, j’ai touché un pic de roche. Je dois avouer que ça cogne plus dur et plus sec que l’enlisement dans la boue. Heureusement, j’étais assis pour barrer. Alors, plutôt que de culbuter tête première dans la descente, j’ai tout simplement glissé sur la banquette de cockpit et suis venu me heurter l’arcade sourcilière contre le cadre de bois de la descente. Le seul embêtement c’est que mon verre de lunette se trouvait entre les deux et que l’arrête même en plastique a un effet plutôt tranchant.

Le résultat net c’est que je fais une compétition de photo avec et sans diachylon avec Manon. Alors on s’est empressés de vous faire des photos pour que vous puissiez voter pour la plus attristante. Maintenant que vous avez vu celle de Manon, allez voir celle que nous avons choisi de vous montrer de ma légère coupure au dessous de l’arcade gauche. Sur invitation, j’enverrai celle qui n’est pas montrable par courriel à qui m’en fera la demande spécifique (13 ans et moins s’abstenir).

À partir de là, tout s’est bien passé en sinuosité à travers des chenaux naturels à travers les marais et finalement le Cumberland Sound et Fernandina Beach. Une journée complète avec les voiles en ciseaux ou au Grand Largue. Les allures portantes qui font que même un vent de 20 à 25 Nds nous parraît tout simplement un souffle doux et portant. Nous sommes à l’ancre dans la Bells River juste devant Fernandina Beach, exactement là où Skipper Bob suggère. Tranquilles pour dormir toute la nuit. J’ai tout de même mis l’alarme d’encrage juste au cas où parce qu’il y a du monde ici, Bob a plusieurs amis. Et effectivement, puisque les bateaux ne fardent pas tous de la même façon ni ne sont affectés pareillement par le courant qui renverse, nous avions dû ré-encrer après dîner quand nous trouvions que nous nous approchions trop d’un cruiser sur notre arrière babord.

Demain grasse marinée et petite journée de moins de 20 Nautiques vers Jacksonville, la destination finale de Manon. Je vais avoir un petit creux de ne plus l’avoir là devant ou derrière la caméra pour les photos de diachylon.

PS Personne sur la route aujourd’hui. Contrairement aux jours précédents où nous pouvions voir une dizaine de cruisers nous dépasser et presque autant de voiliers devant ou derrière nous. Ils sont tous arrètés pour la journée en trains de préparer leur « pot rost » pour le partage au dîner de la Thanksgiving ce soir. À la Marina Bruinswick Landing ou nous étions la nuit passée, la dame nous disait qu’elle avait 3 dindes et 2 jambons en cuisson en prévision D’une soixantaine d’invités ce soir au dîner. Chacun apporte un plat et c’est la fête en famille. Elle était triste de nous voir partir et manquer l’évènement.